Dix heures du matin, c'est l'heure qu'affichait mon téléphone posé sur ma table de nuit. Je n'ai pas l'habitude de me lever si tard, mais ces derniers jours ont été assez difficiles pour moi et surtout pour Lucy. Me tournant vers l'autre coté du lit, j'observai ma fille et sa chevelure blonde en vrac, dormant paisiblement. Depuis l'annonce du décès de son grand-père, le père de Nora, elle avait du mal a faire ses nuits seules dans la chambre. Cette nuit elle a débarqué a trois heures du matin, se plaignant qu'elle n'arrivait pas à dormir bien qu'elle était fatiguée. Je l'ai laissé squatter mon lit, lui tenant compagnie jusqu’à ce qu'elle plonge dans un sommeil profond une heure plus tard. Je me redresse doucement avant de me lever sans faire de bruits pour filer sous la douche et ensuite m'habiller. Je retourne ensuite auprès de Lucy, essayant de la réveiller le plus calmement possible. Elle s'accrocha ensuite a mon cou, toujours un peu endormie avant de l'aider à faire sa toilette puis la laisser s'habiller le temps que je lui prépare un truc à manger. « Des pancakes à la banane !!! » Cria-t-elle d'en haut, avant de courir vers la cuisine. J'étais content que mon attention fasse de l'effet, son ton enjoué m'avait manqué bien que je comprenais sa tristesse. Malgré le départ de Nora, j'avais continué à emmener Lucy voir son grand-père avec qui elle s'entendait à merveille. Il faut dire qu'il savait s'y prendre avec les enfants, ayant élevé Nora pratiquement seul. Une fois son petit-déjeuner terminé, c'est chez mes parents que je la dépose pour la journée. Je n'ai pas eu le temps de présenter mes condoléances à la famille de Nora, bien que je n'ai aucune idée de qui serait présent. Sa tante ? Ses cousins? Ou Nora elle même? Je n'avais pas pensé à l'éventualité qu'elle serait de retour, enfin jusqu'à maintenant et l'idée faisait palpiter mon cœur et me foutait un gros coup de stress. Avant de me diriger vers la demeure du défunt, je passe chez un fleuriste avant optant pour un bouquet discret aux couleurs pastels. Une fois devant la maison, je me dirige vers la grande porte en bois avant de sonner nerveusement me faisant passer un tas de scénarios dans la tête.

Le temps d'attente me semblait si long après avoir sonné, bien que quelques secondes seulement s'étaient écoulées. J'étais nerveux, nerveux à l'idée de la revoir bien que rien n'était sur, il y avait de grandes chances qu'elle soit présente. Quel idiot! Il n'y a aucun doute sur cela, elle est son unique fille et Nora a surement pris le temps de venir enterrer son père. La porte s'ouvrit finalement, mettant fin a ses vagues de pensées qui ne faisaient que me stresser. Je levai le regard et c'est celui de Nora que je croisais, le temps se figea un instant, emporté par une paralysie je n'eus même pas le temps de remarquer sa réaction. Ces quelques secondes avaient suffit a remettre en cause ma présence ici, était-ce une bonne idée de venir finalement?. La jeune femme brisa le silence, d'un ton doux elle m'invita à entrer. Je m’avançai à l'intérieur de la demeure posant les fleurs sur une table dans le hall d'entrée puis me tournant vers Nora qui venait de refermer la porte derrière. « Toutes mes condoléances pour ta perte, je sais que dans ces moments là les mots sont inutiles, mais c'était quelqu'un de bien ... Je suis désolé de ne pas être venu plus tôt. »

Je l'observai silencieusement, elle n'avait pas changé et pourtant je ne savais plus comment agir face à elle. Deux longues années nous avaient séparé après tout, rien n'allait être comme avant. Toute cette rancune que j'avais pour elle s'était dissipée sous un sentiment de compassion. Je connaissais son attachement à son père, cet homme qui l'avait élevé seul, toujours présent et d'un soutien irréprochable pour sa fille. Je croisai son regard, et je ressenti une décharge électrique. Ses cheveux blonds retombaient le long de ses épaules et son dos, légèrement ondulés. Elle arborait sa beauté naturelle, dont l'effet ne se dissipera jamais sur moi, bien que je décelai la fatigue et la tristesse dans ses yeux. La revoir m'avait suffit pour tout remettre en question : avais-je réellement tourné la page finalement? Pourtant c'est bien moi qui a envoyé les papiers du divorce, comme pour me forcer à avancer et confirmer tous les doutes qui m'avaient hanté après son départ. Elle me fit part que les mots n'étaient pas inutiles, je lui adressai un léger sourire qui disparu aussitôt car j'étais de nouveau nerveux par cette situation. J'avais remarqué le silence qui s'était abattu dans la maison, ses proches étaient là et ils étaient surement au courant pour nous deux. « Comment tu te sens? » Je voyais bien la tristesse dans son regard, tout le monde la croit forte, solide et bien dans sa tête, mais cette image, c'est juste pour donner le change. La vérité, c'est qu'elle est vulnérable et désarmée dans ce genre de situations. On a partagé beaucoup trop d'années pour ne pas décrypter ses petites manies.

Sa réponse ne m'étonnait pas, le fait d'éviter toute conversation incluant ses sentiments ou ses émotions. Elle hochait sa tête machinalement, pour appuyer ses propos et se convaincre elle même de son mensonge. Sa réponse confirma bien que tout avait changé entre nous, et cela me terrifiait. Il aurait peut être été plus sage de l'éviter, de prétendre qu'elle était toujours à Sacramento et continuer mon train-train de vie. Et pourtant je ne pouvais m’empêcher de ressentir cette envie de la prendre dans mes bras, et essayer d'alléger ce qu'elle ressentait. Elle devait se sentir coupable de ne pas avoir été présente pendant les derniers jours de son père, mais personne ne s'y attendait. Ce fut un choc pour tout le monde, et j'eus du mal à l'annoncer à Lucy qui adorait venir ici les dimanches tenir compagnie à son grand-père. Il était la personne la mieux placée pour parler de Nora à Lucy, il partageait son enfance et ses bêtises surtout ce qui faisait beaucoup rire la petite. Un décès pouvait changer toute une vision de la vie, vous faire adopter une autre philosophie. Celle où on est conscient que tout a une fin, qu'il faut profiter de ce qu'on a sans tarder. Je me demande si Nora pensait à sa relation avec Lucy, ce qu'elle prévoyait pour celle-ci. Lorsqu'elle était partie, Lucy avait à peine deux ans et n'avait pas vraiment de souvenirs avec sa mère et peut être qu'il était temps d'en créer. Je ressentais encore plus le regard de ses proches sur nous, curieux de savoir comme les choses se passaient entre nous dorénavant. « Tu sais que tu peux toujours tout partager avec moi, si tu en as besoin ... Est ce qu'on pourrait sortir au jardin? ... Il faut dire que je me sens observé » Dis-je d'un léger sourire nerveux, j'avais chaud d'un coup et il fallait vraiment que je sorte.

Spoiler:

Je me suis toujours posé la question : si on m'avait donné la chance revenir en arrière, qu'aurais-je changé à ma vie? Si c'était à refaire, quelles erreurs aurais-je évité pour ne pas en arriver jusqu'à la? Qu'est ce qui l'aurait empêché de partir? Des questions qui demeurent toujours sans réponses. Je pourrais lui en vouloir toute une vie de m'avoir quitté comme ça, d'avoir laissé son enfant derrière elle mais au fond lorsqu'on regarde bien, la force qu'elle a puisé pour tout abandonner du jour au lendemain a été puisé quelque part. Était-elle malheureuse à ce point? Y étais-je pour quelque chose? Au fils des mois, la douleur s'était transformé en un sentiment de trahison puis en un tas de questions sans réponses qui me rongeaient. Suite à ma demande, elle m'adressa un signe de la tête. Je la suivais silencieusement vers le fond de la maison pour finir dans le jardin. Elle se posa sur la pelouse, je ne tardais pas a la rejoindre me posant doucement sur l'herbe sous le soleil. Elle me demanda comment j'allais, puis demanda des nouvelles de notre fille. Difficile de répondre à une telle question lorsqu'on est en face de la seule personne qui hante vos journées depuis maintenant deux ans. J'optais pour la simplicité, ce n'était pas le moment d'étaler ses sentiments et toute cette histoire de départ. J'avais besoin de temps pour ça, et elle aussi. Elle faisait face à beaucoup trop de choses en même temps. Je tournai mon regard vers elle, avant de lui répondre calmement. « Bien ... Je vais bien, ou du moins je m'en sors. » Je lui adressai un léger sourire avant de reprendre. « Elle grandit, beaucoup trop vite à mon gout ... elle te ressemble beaucoup. Elle a eu du mal à faire ses nuits ces derniers jours, je n'ai jamais pensé que c'était aussi dur d'expliquer le cycle de la vie et le destin à un enfant. » J'en avais peut être trop déballé pour des retrouvailles, mais c'était sa mère et finalement j'en avais peut être pas dis assez. Je me redressa un peu pour sortir mon porte-feuille, glissant une photo de Lucy assez récente avec Luigi un des deux chiens que j'avais acheté un an plus tôt. Je tendis la photo vers Nora.