are you kidding me ? [r.]

ROXNIE

Allongé sur ton lit, tu fixes le plafond. Tu observes les fissures qui le mangent et qui ne font que montrer l’étendue de la misère dans laquelle tu règnes. Oui, tes parents ont un appartement vraiment pourri, mais tu t'en contentes. T'es pas franchement décidé à aller voir ailleurs. Tu jettes un coup d'oeil à ton réveil. Il n’est pas loin d’une heure du matin, pourtant, tu ne dors toujours pas. Non, tu attends plutôt que tes potes fassent sonner ton téléphone pour les rejoindre en bas de ton immeuble. Vers trois heures, sans doute. Alors, tu es là à attendre comme un con, une musique électro dans les oreilles. Une musique, qui d’un coup, est perturbée par un cri venu d’outre-tombe. Un cri aigu, perçant. Un hurlement qui aurait pu réveiller les morts. Un putain de hurlement qui réveille royal, ton chien. Sacrilège. La voix portante résonne dans ta chambre, se heurte au mur, se donnant son propre écho. Tu sais bien d’où il vient. D’habitude, tu laisses faire. Tu restes dans ta piaule et t’attend que ça passe. Sauf que ce soir, tu es un peu trop con. Tu es surtout à fleur de peur à cause de tes potes qui s’attardent à t’appeler. Alors, ni une, ni deux, tu sautes de ton lit. Direction l’étage d'en haut. Tu ne prends même pas le temps de t’habiller, l’énervement faisant chauffer bien trop tes pensées pour réfléchir correctement. Une seconde plus tard, tu es devant la porte de la casse couille. Elle ne t’a pas empêché de dormir, mais ces foutus cris te gonflent, tout simplement. Sans aucune gêne, tu tambourines à la porte. Tu es en caleçon, mais t’en as strictement rien à foutre. Tu veux juste lui faire fermer sa gueule. Un coup. Deux. Trois. Quatre. « Ouvre putain ! » beugles-tu, réveillant – sans doute – le voisinage en même temps.

La porte s’ouvre et elle apparait dans la pénombre de la lumière du palier. Tel un ange ? Grand dieu que non. Elle pourrait – presque- être jolie, mais tu n’y fais pas vaiment attention. T’es pas là pour ça de toute façon. Tes yeux se posent alors sur son visage en sueur, le regard paumé quelque part tu ne sais où. Elle a l’air fatigué, grave. Tu devrais être sympa avec elle après tout. Seulement toi, t’es pas comme ça. T’en es loin, même. T’en as rien à cirer que ses nuits soient courtes, hantées par l’invisible. Un peu égoïste, tu ne penses qu’à toi, dégageant la moindre personne venant chercher un peu de ta pitié. Au diable, le bon sens. Tu croises les bras sur ton torse nu et tu plonges en elle, sans retenu. Tes traits sont fermés. Comme toujours, t’es froid, t’es con. « Tu pourrais pas la boucler un peu que je puisse dormir ? » Tu mens ouvertement et alors ? Tu ne cherches pas plus à comprendre le pourquoi. T’es dans ton bon droit, après tout.

Je suis triste. C'est une drôle de tristesse, un peu extérieure, à la façon de ces torchères qui brûlent vers l'extérieur car dedans il n'y a plus de place. Mais c'est une vraie tristesse. Une tristesse en bruit de fond. Une tristesse qui ne lâche jamais prise, ne laisse pas une seconde en repos. (roxnie)

Il n'a pas l'air d'avoir quelque chose à foutre de Roxanne. Et Roxanne, elle a juste l'air d'être perdue. Mais perdue, elle l'a été toute sa vie et c'est pas maintenant que ça va changer, au contraire. Elle regarde le voisin envahisseur d'espace privé et elle sait qu'il s'appelle Vinnie. Elle l'a déjà vu traîner deux, trois fois avec son nouveau colocataire Osiris. Elle n'est pas du genre fouine ni curieuse et ce n'est pas exprès qu'elle le connaît son prénom. Mais la discrétion de son colocataire est casi-inexistante et il passe ses journées à hurler et à claquer les portes. C'est pour ça que Roxanne, elle préfère sa vie d'avant. « Tu pourrais pas la boucler un peu que je puisse dormir ? » Elle le regarde, incrédule au début. C'est lui qui vient se pointer à une heure du matin dans sa chambre alors qu'elle ne lui a jamais adressé la parole, qu'est-ce qu'il raconte ? Et puis, ça lui fait l'effet d'une gifle à la gueule. Un saut d'eau glaciale au visage. Elle n'est plus perdue maintenant et elle regrette son ignorance d'il y a quelques instants. Elle qui croyait qu'étant donné l'architecture du petit appartement plus personne ne pouvait l'écouter, elle avait tord. Parce que si les murs ont des oreilles, les plafonds aussi. Elle ne sait pas quoi dire, elle rougit. Normalement, dans des situations pareilles, elle se met vite en colère. Elle ne fait jamais poids devant les garçons mais elle s'en sort habituellement bien en se défendant avec sa voix de crécelle. Cette fois, elle en perdait ses mots. L'humiliation la plus complète. Elle se lève en un bond et heureusement qu'elle ne porte pas sa tenue la plus courte, ça aurait été encore plus embarrassant. Elle pousse tant bien que mal, Vinnie, de ses petites mains jusqu'à le faire sortir de la porte de sa chambre et essaye - en vain -, de lui claquer la porte au nez. « Oui, ben c'est bon je vais essayer de faire moins de bruit.» Elle a peur qu'il lui pose la question parce qu'elle n'y répondra pas. Elle n'y répond jamais. Pourquoi est-ce qu'elle hurle le soir ? Secret défense. Mais il ne la posera certainement pas. Elle lui a dit ce qu'il voulait entendre, il n'a qu'à s'en aller. « Allez maintenant, laisses moi tranquille.»

Tel une furie, tu sens ses petites mains te pousser en arrière. Sous l’impulsion, tu recules de quelque pas. Il t’en faut plus pour céder complètement. Elle est frêle, c’est un poids plume comme t’en as baisé souvent. Elle peut continuer, tu as pas l'intention de bouger ton cul. Elle essaye alors de fermer la porte. Tu la retiens facilement avec ta main droite. Tu refuses de partir. Tu refuses de baisser les yeux. Tu ne sais pas trop ce que tu cherches. Tu ne sais pas trop ce que tu veux. « Non mais t’essayes pas. Tu fais plus de bruit, c’est tout. » Et dire qu’Osiris doit la supporter. T’es incapable de le faire plus de deux minutes, alors t’oses à peine imaginer les malheurs de ton pote. Elle t’incite à partir, mais t’es pas franchement d’accord. Mieux, tu entres dans sa chambre. T’observes alors la pièce et sa décoration. Sans aucune originalité. Sans aucune personnalité. Du moins, à ton humble avis. « T’as d’ja pensé à consulter ? Couiner comme ça toute les nuits, c’est pas normal j'crois. » Tu te moques ouvertement, méchamment un peu. Elle est ta victime du soir, c’est tout ce qu’il y a à voir.

人間は地球の癌である。
humans are the cancer of the earth. (roxnie)

Il résiste, elle s'en doutait. Pourtant, il aurait dû s'en aller, elle s'était à demi-excusée, ça aurait dû être suffisant. Mais non, il rentre une deuxième fois dans sa chambre, glaciale et minuscule, un peu comme elle. Roxanne se rend compte, qu'encore une fois, elle s'est endormie la fenêtre ouverte. C'est une sale manie qu'elle a, qu'il pleuve ou qu'il neige, la fenêtre est tout le temps ouverte. Ça lui donne un semblant de liberté dans sa vie, et parfois le vent lui caresse le corps et la fait frémir. Oui, ça lui donne l'impression d'être libre et puis surtout vivante. A sa réponse, elle manque de lui éclater de rire à la figure. Il pense quand même pas qu'elle le fait exprès. Si elle avait le choix Roxanne, elle s'endormirait même plus la nuit. Mais la fatigue et les souvenirs trop lourds à porter finissent à chaque fois par prendre le dessus. Et sans le voir, elle tombe dans les vapes sans même s'en rendre compte. « Pardon, qu'est-ce que t'as dis, que je fasses plus de bruit ? Ah oui d'accord, la prochaine fois je me mettrai du scotch sur la bouche, ça te va ? Et en attendant, tu dégages de chez moi et tu vas te plaindre chez ta maman si ça ne te plaît pas. » Elle lui parle gentiment, lui fait un sourire adorable. Mais, c'est sarcastique,et ça elle doute qu'il le comprenne. Avec autant de tatouages sur le corps, il doit pas être très intelligent le Vinnie. Il se tait un instant, observe la pièce. Elle est vide, Roxanne le sait. Un matelas, une petite armoire, des cartons ici là, parce que y'a des trucs qui appartenaient à son ancienne vie et qu'elle a pas osé déballer. Pas ici, pas dans un endroit comme ça. Cette chambre, c'est peut-être sa chambre, mais ce n'est pas son chez-soi. Elle ne laissera aucune trace d'elle-même dans cette pièce, ni dans cette appartement, ni nulle part d'autre, d'ailleurs. Elle doute qu'un jour, elle retrouve sa maison. Et en attendant, elle se contentera de ce qu'elle a. Ou plutôt, de ce qu'elle n'a pas. Roxanne s'impatiente, elle se demande quand est-ce que l'intrus va déguerpir. Il lui lance une remarque acerbe sur le fait qu'elle ne soit pas normale. C'est blessant et le pire c'est qu'il a raison. Il est peut-être pas si con que ça. Puis ça la froisse, il a réussit à remuer le couteau dans la plaie. Et Roxanne, elle aime pas ça. Elle sent la colère monter en elle. Ça monte, ça monte, ça monte. Elle devient rouge, elle va exploser. Elle le gifle. Fort. Deux fois. Et s'apprête à courir jusqu'au toit au cas où il déciderait de la frapper en retour.

« Ouais. Encore si tu criais parce que tu t’fais sauter, j’dis pas. Mais là, ça saoule meuf. » Tu l’écoutes même pas. Elle est sarcastique, mais t’as pas appris à répondre à ses pics. Toi, tu t’enfonces un peu plus dans la vulgarité. Tu ne sais faire que ça. T’as pas d’autre arme que celle-là. Pas quand on a grandi dans la rue où le seul truc qui fait survivre, c’est d’être plus fort. Et puis soudain, sa main s’étale sur ta joue. Retourné acrobatique de ses cinq doigts. T’as la joue rouge, la marque figé sur ta peau un peu pale. « Putain, salope. » que tu lui craches au visage. La colère monte. La violence aussi. Personne ne lève la main sur toi. Personne. Pas même elle. Pas même Fauve. Elle a aucun droit de faire ça, même si tu le mérites. Brutalement, tu l’attrapes par le poignet. Tu l’agrippes presque à lui en broyer les os. T’as jamais vraiment trop senti ta force. Peut-être bien que tu lui fais mal. Elle est frêle après tout. « T’as un problème ? Non parce que ça m’pose aucun soucis d'le régler. Sérieux, ça va vraiment pas bien. » Tu continues. Tu t’obstines. T’aimes pas perdre la face devant les filles.